Il y soixante ans, la tourmente de la seconde guerre mondiale dans laquelle un monde qui se croyait civilisé avait failli sombrer, approchait de son terme.
Tandis que les armées alliées progressaient inexorablement vers le cœur de l’Allemagne, elles découvraient ce que beaucoup jusqu’alors se refusaient à croire :
Les camps de concentration et d’extermination qu’elles libérèrent un à un.
Le crime hitlérien apparut alors dans toute son horreur et sa brutalité. Pouvait-on penser qu’il n’était l’œuvre que d’un seul groupe de fanatiques ou de quelques soldats perdus ou bien plutôt l’aboutissement tragique d’une succession de lâches complaisances qui marquèrent d’une manière indélébile toute une génération.
En ce début d’année 1945, alors que continuait, indifférent, le cycle de la nature, et que, au centre même du camp de Buchenwald, le chêne de Goethe se couvrait de bourgeons, ce fut pour les libérateurs l’atroce plongée vers l’indicible de l’inhumanité extrême. Le soleil de printemps éclairait des monceaux de cadavres et de vivants décharnés, comme si la face hideuse de la mort prévalait sur la vie.
L’enfer sortait de l’imaginaire et prenait une réalité obscène, qui résonnait à travers la morne litanie des camps de la mort :
Auschwitz, Treblinka, Maïdanek, Ravensbrück, Dachau, Buchenwald, Matahausen, Bergen-Belsen, le Struthof Natzweiler, et tant d’autres, qui virent l’agonie des corps suppliciés, des hommes humiliés, des morts oubliés.
Dans ces lieux où rien d’humain n’avait de sens, que jamais les mots n’auront la force de décrire, l’impensable fut commis et le crime devint la règle.
Là, des bureaucrates sans conscience et des bourreaux sans âme s’unirent pour détourner l’administration et la technique vers l’efficacité terrible d’un génocide assumé, planifié, exécuté avec détermination.
Au dehors, ceux qui savaient se turent, ceux qui ne savaient pas ne voulurent pas savoir.
Certains même qui visitèrent des camps, écoutèrent des orchestres de détenus et félicitèrent les autorités de tant de libéralisme, mais n’entendirent pas, aux portes, le piétinement d’immenses cortèges de femmes et d’enfants, d’hommes et de vieillards promis à la mort.
Et ceux-là, qu’ils ne virent pas, n’eurent pas même la relative consolation d’une sépulture : après avoir été niés en tant qu’êtres humains, déportés, humiliés, assassinés, leurs cendres consumées disparurent au vent des crématoires.
Hommes et femmes sans nom, de tous les pays, de tous les peuples et de toutes les croyances, dont on voulut effacer jusqu’à la mémoire.
Hommes et femmes brisés, martyrisés par des bourreaux cruels aux ordres d’une idéologie raciste, xénophobe et antisémite, en ce soixantième anniversaire de la libération des camps de la mort, les Francs-maçons du Grand Orient de France comme ceux de la Franc-Maçonnerie française veulent se souvenir de vous, et rappeler solennellement à ceux qui nient aujourd’hui la Shoah, que vous existerez toujours pour nous, comme les témoins et les victimes tragiques et innocentes de l’injustice, de l’absurdité et du Mal.
Aux familles des déportés, aux associations qui les représentent, aux survivants de l’effroyable, les Francs-maçons, dont certains connurent un sort identique, veulent témoigner de leur fraternité, une des seules valeurs capables d’éclairer l’avenir et de mener l’Humanité vers l’amitié, la concorde et la paix.
Puissent les hommes saisir chaque instant pour accomplir cette obligation sacrée, cet impérieux devoir de mémoire, pour que jamais l’oubli ne recouvre de son voile d’ombre, cette honte à jamais gravée dans l’histoire de ce que nous pensions être la civilisation.
Puisse la force du souvenir nous préserver durablement du retour de la haine, de la barbarie, des entreprises génocidaires !
Puisse-t-elle nous garder vigilants face aux actes, aux propos, aux profanations, qui s’expriment aujourd’hui de plus en plus souvent sans retenue et sans pudeur !
Car les discours de haine n’ont jamais cessé et comme disait Brecht, le ventre de la bête immonde est toujours fécond.
Et si la loi de nos démocraties interdit à juste titre l’expression de ces haines recuites, il n’en faut pas moins rester lucide et attentif aux divers visages qu’elles peuvent prendre.
A ceux là, qui nient l’évidence et la réalité des génocides, à ces bateleurs du crime, nous opposerons toujours la force et la nécessité de la mémoire, pour que la liberté, l’égalité, la fraternité, soient au cœur du destin des hommes, et pour qu’enfin, leur amour fraternel forge notre avenir et que s'engloutisse dans l’histoire, définitivement, le temps des assassins.