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L'Europe et ses héritages

Date parution : 04/11/2002

LAÏCITE Alors que l'union européenne est en pleine discussion sur sa future Constitution


Il est toujours fascinant de constater à quel point la construction européenne, qui devrait d'abord se comprendre comme une dynamique, est le plus souvent bloquée par des poussées nostalgiques ou des réactions théologiques, au sens profond du terme.
Que certains représentants des Églises ne puissent admettre une société qui laisse la liberté à chacun de croire ou de ne pas croire, dans une relation personnelle avec Dieu ou sans dieux, relève des figures imposées d'une digestion difficile ou d'une interprétation respectable mais limitée.
Si la France affirme la laïcité, sur la plus grande partie de son territoire, et dans des conditions de souplesse remarquable (y compris lorsqu'il s'agit de se présenter aux épreuves du baccalauréat avec un voile. en exigeant un correcteur féminin et accompagnée de son époux...), d'autres Etats européens ont choisi des voies similaires (laïcité au Portugal, libre examen pour la Belgique, séparation pour la Suède, suppression de la religion sur les cartes d'identité en Grèce...). La plupart des Églises catholiques sont d'ailleurs extrêmement " laïques " dans les pays d'Europe où elles sont minoritaires... Quel est donc le sens d'une revendication visant à intégrer la religion catholique, la chrétienté ou Dieu sans précisions dans le préambule de la future Constitution de l'Europe ?
Lorsque les démocraties chrétiennes ont permis la création de ce qui deviendra l'Union, personne n'a estimé indispensable de retenir cette option, au nom d'une volonté commune de rassembler le Vieux Continent, encore meurtri de tant de guerres, civiles ou entre Empires.
Il semble donc paradoxal, au moment où le gouvernement britannique propose de créer des cérémonies civiles alternatives aux options religieuses, que le débat européen se développe sur le mode de la régression.
Nul ne peut sérieusement remettre en doute l'importance historique de la place de la catholicité en Europe. Ni de celle des espaces protestants, juifs, orthodoxes, musulmans et humanistes laïques. Tous ces héritages ont permis à l'Europe, et au-delà de son territoire propre, d'affirmer une identité qui dépasse la somme de ses composantes.
Les dernières guerres que l'Europe connaît sont encore des guerres de religion. En Irlande, en ex-Yougoslavie, à nos portes en Méditerranée, dans l'espace turc, les index, les interdits, les atteintes aux droits de penser librement sont nombreux. Est-ce au nom de ces réalités-là qu'il faudrait imposer un Dieu à ces Européens victimes des boucheries et des pogroms modernes ?
Faut-il véritablement handicaper un processus qui permet de respecter sa religion, d'en changer, de la quitter ou de ne pas être obligé d'appartenir à aucune ? Les citoyens libres de leurs choix, hommes et femmes, doivent-ils retourner dans des boîtes bien étiquetées au nom d'un " supplément d'âme " qui ferait défaut ?
Le Grand Orient de France accueille, depuis toujours, des citoyens libres, croyants et non-croyants, au nom de la liberté de conscience. Le respect dû à celles et ceux qui croient ne pourrait devenir une contrainte pour toutes celles et tous ceux qui pensent autrement. Nous croyons plus dans l'émancipation des consciences que dans le salut des âmes, mais n'empêchons personne de rechercher le confort d'un soutien utile après la vie. Nos promesses sont effectuées au profit des vivants. Le reste ne nous concerne en rien.
Il ne s'agit pas en imposant Dieu, quels que soient les arguments utilisés, de construire une Europe libre. Il ne s'agit pas de faire un pas supplémentaire vers la reconnaissance des différences. Il ne s'agit pas d'aider à la réalisation d'une Union nécessaire. Ce qui nous est proposé vise simplement à affaiblir, réduire, diviser. A recréer les conditions de troubles et de conflits communautarisés. A renforcer les plus extrémistes et les plus intégristes dans une identité fermée, qui forcerait à vie à la reproduction de la forme d'existence de ses ancêtres, sans espoir d'évolution ou de changement. Le clonage religieux n'est pas plus acceptable que la manipulation génétique.
Nous proclamons la liberté de choix.
Il revient aux Églises de convaincre, dans la sphère privée ; de la justesse de leur doctrine. Il appartient aux laïques de garantir le libre exercice des cultes pour ceux qui s'y réfèrent et de préserver l'espace de liberté de celles et ceux qui choisissent d'autres parcours.
L'Europe n'est pas faite pour préserver les parts de marché en réduction des Églises. Elle doit justement devenir l'espace naturel de coexistence volontaire, dans le respect des constructions nationales, d'Européennes et d'Européens véritablement libres. Nous comprenons les inquiétudes des structures et des hiérarchies qui cherchent à conserver des fidèles. Il leur appartient de faire passer un message qui suscite l'adhésion. Il serait extraordinaire que Ies Églises, à ce moment précis de notre histoire, se réduisent à accepter de ne se comporter que comme des sectes qui n'auraient pas réussi...
Imposer Dieu, l'Eglise, la religion au nom d'idéaux déformés n'est pas un service à rendre aux Églises ni aux croyants. C'est le meilleur moyen d'importer des guerres d'un autre âge et de ressusciter des conflits internes inutiles et dangereux.
Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas, en prenant ici position, de s'arc-bouter sur une question de principe, mais d'affirmer la condition indispensable à la réussite de la construction européenne sans dogmes, au nom d'une volonté et d'une conviction réaffirmée ; dans la capacité des peuples à choisir sans contraintes.