Voici la laïcité revenue à la mode. Nombreux étaient celles et ceux qui avaient mis en garde contre les atteintes, les compromis, les délitements, les lâchetés qui pouvaient aboutir, par petites touches insidieuses ou par tentatives plus fortes, à remettre en cause ce qui nous permet de vivre ensemble.
Déjà, dès après la Libération, le général de Gaulle avait dû rétablir l'essentiel des principales dispositions de la loi de 1905, après les reniements ultramontains de la collaboration.
Ce n'est pas un hasard si les plus importants conflits dans l'histoire récente de notre pays, de pétitions en manifestations, ont porté autour de la question de l'école comme espace " sacré " de la laïcité.
Certes, la crise qui secoue aujourd'hui tout le monde scolaire, en termes de violence, de conditions de travail, d'aide aux élèves, de dialogue avec les parents, de missions (entre éduquer et instruire), pourrait inciter à penser que la question laïque est accessoire ou instrumentée pour d'autres motifs. Le débat est pourtant essentiel.
Mais comme souvent, il procède entre paradoxes et confusions, en s'appuyant sur les effets d'un choc des incultures qui semble plus dangereux que le supposé choc des civilisations.
D'abord parce que les premiers territoires perdus de la République l'ont été il y a longtemps (AIsace-Moselle, Guyane, Mayotte, Polynésie) sans grand émoi.
S'il faut saluer les nombreuses conversions laïques spontanées qui s'expriment aujourd'hui, par peur de l'islam, il conviendrait de reprendre le sujet dans son ensemble et de ne pas oublier ce qui pourrait aussi être réglé en décidant tout simplement d'appliquer la loi et quelques arrêts du Conseil d'Etat qui, à la différence de son avis de circonstance, font eux jurisprudence.
Puisque le moment est venu de traiter de la question laïque dans une France apaisée, alors avançons ensemble sur les questions simples qu'il semble possible de résoudre sans créer de nouvelles crispations :
- Modification du régime dérogatoire en Alsace-Moselle, ne serait-ce que pour permettre aux familles de décider librement d'envoyer leurs enfants au catéchisme sans demande de " dérogation ".
- Application intégrale de la loi de 1905 sur les autres territoires républicains, notamment dans les départements dont le dispositif est encore plus caricatural.
- Mise en place de dispositifs de représentation pour toutes les croyances, incluant la dimension culturelle et permettant de résoudre les questions de financement par les croyants, de fiscalité, d'emploi, de taxe sur les aliments, de cimetières permettant un dialogue culte par culte (catholiques, protestants, juifs, musulmans, orthodoxes, bouddhistes), avec l'Etat.
- Formation à la connaissance de la laïcité et des faits religieux en s'appuyant sur une large diffusion du patrimoine philosophique laïque et par le développement de l'Institut européen des sciences du religieux. La laïcité n'a jamais constitué une excuse à l'ignorance.
- Mise en place de cérémonies civiles alternatives ou complémentaires permettant de compléter l'état civil à la naissance.
- Représentation des croyances et de la laïcité au sein de l'instance dont c'est le rôle traditionnel, le Conseil économique et social, sans mise en place d'un dispositif de représentation des religions légitimé par l'Etat. Ce point est loin d' être secondaire, puisqu'il représente la véritable ambition de l'Europe violette et permettrait à un Etat clérical, le Vatican, d'affirmer son contrôle sur une Eglise nationale en disposant, au-delà d'un statut diplomatique déjà exorbitant, d'une mainmise qui reviendrait au rétablissement du concordat sur tout le territoire.
On ne saurait oublier les tentatives, depuis le traité de Maastricht, d'imposer une référence à Dieu, dans les textes fondamentaux de l'Europe, alors même que ses concepteurs démocrates-chrétiens avaient eu la sagesse et la lucidité de surtout n'en rien faire. Partout, en Europe, en Belgique, en Grèce, dans les pays nordiques, la séparation des Eglises et des Etats progresse. Loin d'être un concept inexportable, la laïcité apparaît comme la solution à de nombreuses difficultés d'intégration et de construction de l'identité des nations.
Ce qui se passe à la convention présidée par le président Valéry Giscard d'Estaing ne saurait être considéré indépendamment de nos débats intérieurs. Bien au contraire, tout est lié. Il revient au gouvernement d'assurer enfin pleinement son rôle en évitant de se réfugier derrière des instances juridictionnelles dont ce n'est pas le rôle. Il est temps d'affirmer, notamment vis-à-vis des enseignants, abandonnés face aux crispations identitaires, à la violence, au racisme, à l'antisémitisme et à la xénophobie, ce qu'est le respect d'une loi dont on ne négocierait plus l'application.
Les différents messages du président de la République ont été clairs sur ces questions.
Les établissements publics de toute nature doivent être préservés de tous les signes ostensibles et identitaires. Le différentiaIisme, pratiqué depuis 20 ans, a déjà donné les résultats que l'on peut enregistrer partout. Ni hidjab, ni kippa, ni crucifix, ni faucille, ni marteau, ni équerre, ni compas, ni publicités commerciales ne doivent polluer les espaces communs. Ceci est possible en appliquant la loi de 1905. Il sera peut-être nécessaire de la renforcer ultérieurement, mais sans commettre l'erreur majeure qui voudrait qu'on légifère contre un seul culte, non pas au nom de la laïcité, mais de la peur.
Nous saluons les nombreuses conversions laïques spontanées enregistrées au cours des dernières semaines. Mais au-delà d'une laïcité d'apparence, nous appelons à une mobilisation des laïques de conviction, en France comme en Europe. Parce que nous accueillons et respectons, depuis près de trois siècles, des croyants et des non-croyants dans les loges maçonniques, parce que nous avons été créés, en Angleterre et en France, pour mettre fin à des siècles de guerres de religion, nous souhaitons que la loi de 1905 ne soit pas seulement commémorée comme un objet d'histoire et de mémoire, mais comme un outil vivant et indispensable. Le moment est venu, en matière de laïcité comme de croyances, d'avoir plus de pratiquants que de croyants. Et que le gouvernement décide, courageusement, d'appliquer la loi.